« Où es-tu ?
Ça commence doucement, un peu comme un cauchemar
Comme une bête hideuse qui se glisse dans le noir,
Qui se love peu à peu au creux de la mémoire
Et qui attend son heure pour frapper au hasard !
Au début, c’est un geste, ou un mot qu’on oublie,
Un petit blanc brutal qu’on cache dans un rire,
Un savoir-faire banal qu’on regarde s’enfuir
Qui échappe soudain au fil de notre vie.
On accuse la fatigue, ou bien le surmenage,
On rit avec les autres, on détourne l’attention…
Voilà, c’est revenu, c’était quoi la question ?
Mais non, ce n’est pas grave, c’est normal à mon âge !
Mais la bête est bien là et qui prend tout son temps,
Elle grandit et elle rôde, colonise ton esprit,
Voile ta réalité d’un épais brouillard gris
Et s’nourrit des souvenirs, étouffe ton présent !
Pas question de céder, de montrer tes faiblesses,
Tu camoufles comme tu peux les oublis, les erreurs,
Tu changes tes habitudes et tu masques ta peur,
Mais derrière ton humeur se tapit ta détresse !
Et puis, un beau matin, la bête frappe soudain,
Plus un mot, plus un geste qui ne soit un effort,
Tu ne contrôles plus rien, pas même ton propre corps,
…Un éclair de panique, et ton regard s’éteint !
Mais où es-tu parti ? Dans quel monde éloigné
Que je ne puisse atteindre la bête t’a-t-elle emmené ?
Où sont donc ces rivages où tu parais bloqué ?
Et quel est cet enfer qui te tient prisonnier ?
Quel est cet univers où tu pars si souvent,
Nous laissant impuissants, démunis et perdus ?
Je crains tellement le jour où tu ne reviendras plus,
Où ton âme à jamais errera dans le néant !
Je te parle, te raconte les choses de nos vies,
Je cherche dans ton regard, l’ombre de ta présence
Mais je n’y trouve souvent que le vide et l’absence
Pour répondre à mes rires, mes rêves ou mes envies !
Mais parfois, je perçois, dans ton regard éteint,
Un éclat de conscience, une lumière, un sourire…
J’essaie de toutes mes forces de l’empêcher d’partir,
Mais il s’enfuit quand même, mes efforts restent vains !
Qu’en est-il de ce monde où tu vis désormais ?
Est-il doux et léger, et frais comme un jardin ?
Ou est-il noir et sombre, un labyrinthe sans fin
Où tu erres sans repère, perdu à tout jamais ?
Et quand de temps en temps, tu reviens parmi nous,
Comprends-tu ton absence ? As-tu des souvenirs ?
As-tu conscience du temps que t’as laissé s’enfuir ?
Sais-tu ce qui se passe ou est-ce déjà si flou ?
Je vois que tu hésites, que tu choisis tes mots,
Je lis dans ton regard, un millier de questions
Et tu mets dans tes phrases tant d’interrogations…
Comme si t’étais pas sûr d’être là où il faut !
Mais où es-tu papa ? Dans quelle réalité ?
Au moins es-tu heureux dans cette dimension-là ?
As-tu le cœur léger quand tu t’envoles là-bas ?
J’aimerais tellement croire à ta sérénité !
Mais ta vie désormais est comme une rose fanée,
Pas morte tout à fait, il en reste le parfum
Qui te rappelle qu’hier était déjà demain
Qu’les couleurs de la vie, douc’ment s’en sont allées ! »
Herrlisheim – 21 juin 2015 – Fête des Pères